À l’écoute du vivant : l’art comme espace d’accompagnement

Il existe des espaces où l’art dépasse la simple exposition pour devenir un véritable lieu de rencontre, de réflexion et de transformation. La résidence artistique Bayt Al Fenn, portée par la Fondation Friedrich Naumann et l’American Arts Center, fait partie de ces espaces rares. Pendant plusieurs semaines, artistes, mentors et curateurs y cohabitent, partagent leurs questionnements et tissent ensemble un dialogue vivant entre art, société et humanité.

Depuis maintenant cinq ans, j’y participe activement, et cette expérience est devenue pour moi un prolongement naturel de mon parcours. J’y porte plusieurs casquettes : celle de professeure d’histoire de l’art, qui m’ancre dans la transmission et le regard critique ; celle de mentor, parce que j’accompagne les artistes dans leur processus de création ; celle de coach, en tant qu’accompagnatrice du changement, formée à des outils qui aident à clarifier, structurer et dépasser les blocages ; et enfin celle de co-curatrice et de directrice artistique, car je collabore étroitement à la conception des thématiques, à la construction du concept global et à la mise en scène des expositions. Ces rôles se complètent, se répondent, et traduisent ma conviction que l’art, comme le coaching, est un puissant vecteur de transformation individuelle et collective.

Accompagner les artistes dans le cadre de cette résidence, c’est bien plus que suivre un processus de création : c’est entrer dans une aventure humaine. Chaque artiste arrive avec une histoire, une sensibilité, un univers parfois encore en devenir. Mon rôle consiste à offrir un espace d’écoute et de questionnement, à provoquer une mise en lumière sans jamais imposer une direction. Le parallèle avec le coaching est évident : on ne guide pas en traçant le chemin pour l’autre, on l’aide à trouver le sien. Et cette posture demande une vigilance constante. Il faut apprendre à valoriser la personne sans l’influencer, à poser les bonnes questions sans induire de réponses, à partager des pistes sans les présenter comme des vérités. C’est un exercice d’équilibre, presque un art en soi : celui de rester présent et engagé, tout en laissant à l’autre la pleine responsabilité de son cheminement.

Dans cet espace d’accompagnement, la confiance devient la condition essentielle de toute évolution. Elle ne se décrète pas : elle se construit dans la cohérence, le respect et la reconnaissance mutuelle. Lorsque la confiance est là, quelque chose s’ouvre. L’artiste ose aller plus loin, ose se montrer tel qu’il est, ose prendre des risques créatifs. Et de mon côté, je peux jouer pleinement mon rôle : celui d’un miroir bienveillant qui reflète sans juger, qui encourage sans orienter, et qui valorise sans enfermer. Car accompagner, c’est avant tout valoriser la singularité de l’autre, lui permettre de se sentir légitime dans son expression, et de comprendre que sa voix, sa vision, son geste artistique comptent.

Dans une résidence comme Bayt Al Fenn, les moments d’échange prennent souvent la forme de brainstormings collectifs. Ce sont des espaces d’émulation où chacun partage, rebondit, enrichit la pensée de l’autre. Il y a une énergie créative incroyable dans ces dialogues. Ce n’est pas un processus vertical, mais un travail d’horizontalité : chacun apporte son regard, ses références, son vécu. L’objectif n’est pas d’uniformiser les approches, mais de permettre à chacun d’élargir son champ de vision, de se nourrir du collectif tout en affirmant sa singularité. C’est aussi dans ces moments que la frontière entre art, pédagogie et coaching devient la plus fine, parce qu’on apprend ensemble à penser autrement, à écouter autrement, à co-créer du sens.

Au fil des années, j’ai observé combien le processus artistique est proche du processus de transformation personnelle. Il commence par une intuition, parfois confuse, puis viennent le doute, la confrontation, le dialogue, et enfin la révélation. C’est un mouvement d’exploration, de déconstruction et de reconstruction. L’artiste, comme le client en coaching, se confronte à luimême, à ses limites, à ses peurs. Il cherche à donner forme à ce qu’il ressent sans toujours savoir comment. Et c’est précisément là que l’accompagnement prend tout son sens : il permet à la personne d’éclaircir sa vision, de reconnaître ses forces, de transformer la confusion en clarté.

Bayt Al Fenn n’est pas qu’un programme artistique. C’est une micro-société où se jouent des dynamiques humaines profondes : l’écoute, la confrontation constructive, le respect de la différence, la coopération. Chaque édition offre une photographie sincère de notre époque, de ses tensions et de ses espoirs. À travers les échanges, les ateliers et les discussions, on y perçoit combien l’art peut devenir un outil de dialogue social, une manière d’exprimer ce qui ne se dit pas, de faire émerger les voix que l’on n’entend pas toujours.

Ce qui se vit dans une résidence comme celle-ci rejoint profondément le coeur du coaching. Dans les deux démarches, on travaille avec le vivant, avec ce qui bouge, ce qui doute, ce qui cherche. Le curateur, comme le coach, observe, questionne, met en perspective. Il aide à formuler, à comprendre, à nommer ce qui était encore diffus. Ni l’un ni l’autre ne cherchent à corriger, mais à révéler.

L’art, dans cette dimension, devient un miroir social. Il permet de poser des mots, des images et des formes sur ce que nous traversons collectivement. Il invite à repenser nos manières de cohabiter, d’écouter, de nous relier. Et c’est aussi cela, accompagner : faire émerger une parole, une forme ou une prise de conscience qui ouvre un chemin.

Dans mon expérience à Bayt Al Fenn, j’ai retrouvé ce que je vis souvent dans le coaching : cette intensité des moments où quelque chose se débloque, où une idée prend sens, où la compréhension circule. Ces instants où le regard change, où un artiste comme un client reprend contact avec ce qui est juste pour lui. Dans les deux cas, il s’agit d’un travail de transformation, intime et collectif à la fois, qui demande de l’écoute, de la patience et une réelle confiance dans le processus.

Finalement, que ce soit dans l’espace d’un atelier, d’une galerie ou d’une séance de coaching, la démarche reste la même : accompagner l’humain dans sa capacité à créer du sens, à s’exprimer, à se transformer. L’art et le coaching se rejoignent dans une même ambition : celle d’aider chacun à trouver sa voix — et à la faire entendre.